VIVRES. VOUIVRES
ET AUTRES LEGENDES
DE LA REGION BOURGOGNE
(D'après une étude de l'association "COUCHES ET SON PASSE")


Dans nos campagnes, de nombreuses traditions ou légendes survivent et font l'objet de fêtes ou de reconstitutions.


En Bourgogne, on note un peu partout des textes anciens, des récits racontés de bouche à oreille, qui ont attrait à ''la" Vivre, "le'' Vivre ou "la'' Vouivre. Nous montrerons à la fin de l'article que ces ''monstres'', qui ont fait peur à nos ancêtres, comportent de grandes similitudes.
Le dictionnaire ''La littres" donne pour définition de ''Vivre'' : serpent tortueux. Voyons quelques exemples empruntés aux croyances de la région.


La Vouivre de Mont Saint-lean (Côte d'0r)


Elle fait partie des ''contes de bourgogne''. On y cite le cas d'une veuve : Gervaise, austère, froide, qui élève seule son fils : le ''petit Louis''. A chaque quête, elle refuse de donner de l'argent, bien qu'en faisant entretenir ses Vignes, 1a vente du vin soit d'un grand rapport pour elle.

Un jour, en fouillant dans de vieux papiers, elle découvre que le défunt seigneur de Mont Saint-Jean avait légué vignes et trésor à son mari. Mais qu'est donc devenu ce trésor ? Son mari a-t-il eu autrefois peur de la Vouivre, gardienne de celui-ci ?

La Vouivre était une créature, au visage et tronc de femme, avec un corps terminé en queue de poisson...une sorte de sirène vivant sur terre. Installée dans la salle du trésor, elle balayait tous les intrus à grands coups de queue.

Un jour, Gervoise décida, ce que n'avait jamais fait aucun villageois, d'affronter la Vouivre et de se rendre dans la salle du trésor. A la lueur d'une bougie, elle découvrit le coffre, emporta des pièces d'or, mais en ressortant... le petit Louis n'était plus là ! Elle le chercha en vain, catastrophée.

''Malheureuse lui dit une vieille vigneronne, il ne faut jamais pénétrer dans le domaine de 1a Vouivre, elle s'en aperçoit et se venge.

La Vouivre, voyant que Gervaise était devenue moins avare, et distribuait les pièces d'or dérobées aux mendiants, restitua l'enfant. ''Dommage, dit la Vouivre, je l'aurais gardé volontiers, il me tenait compagnie''. Gervaise changea beaucoup plus tard. Elle finit par s'intéresser au sort des pauvres. quant à la Vouivre, elle quitta Mont Saint- Jean pour la banlieue dijonnaise...
La Vouivre de Culles (les Roches - Saône et Loire)

Jean, un solide gaillard rentre à la maison après une rude journée de labeur. Personne, en raison de son gabarit, n'ose l'affronter, et il n'a pas son pareil pour tailler la vigne ou couper le bois. En passant devant ''les roches'', il se souvient toujours du conseil de sa grand-mère : ''tu vas voir la Vouivre, elle va t'emmener dans son trou".

En Passant près de 1a falaise, Jean, ce soir-là frissonna. Il entendit retentir un cri strident; est-ce une bête ou une femme ? Il vit devant lui un visage merveilleux, une créature resplendissante, avec de grands yeux en amandes. Sur le front, un diamant bleu, le torse de la belle surmontait une énorme queue couverte d'écaille produisant, en frottant les unes sur les autres, un son mélodieux.

Il dit à la créature ''que veux-tu de moi ?''. Celle-ci tendit sa tête, Jean posa sa main sur le bijou. L'être se transforma alors en une compagne fascinante dont il tomba amoureux et qui l'invita à aller se baigner dans la rivière.

Les deux êtres s'endormirent plus tard. Jean se réveilla seul, plus de trace de l'inconnue, dans sa main brillait la pierre précieuse qui se désintégra, en laissant une trace noirâtre.

On raconte que les personnes qui rencontrent la Vouivre connaissent des moments intenses, mais plus tard, tout s'efface. Les jeunes vignerons, qui sont choisis par l'animal, ne garderont rien de cette passion éphémère.

La Vivre de Gemeaux (Côte d'0r)

Elle est à la fois femme et serpent ; elle possède des ailes, elle apparaît couverte d'or et de pierres précieuses, avec un énorme bijou sur son front. Son rôle est de garder jalousement le trésor des Templiers. Son aspect ''physique'' ressemble donc beaucoup à celui de la précédente.



La Vivre de Lournand (Vers Cluny - Saône et Loire)

La Vouivre devient cette foi "le'' Vivre. Elle se cache dans les failles des rochers. Le passant imprudent sent son souffle glacé et doit, en plus, éviter la rivière proche qui charge son venin.



Enfin... la Vivre de Couches

C'est une bête apocalyptique, ayant des caractères de serpent et de monstre de la préhistoire. On raconte que ses méfaits ont été innombrables. Elle a dévoré les enfants, affolé la population, semant partout la terreur.

On aurait, paraît-il, essayer de lutter contre elle, par exemple en organisant des battues : toutes les tentatives ont échoué. A chaque combat, elle trouve une parade et dévore ses assaillants.

C'est ainsi qu'on fit appel à un magicien appelé ''Yoata''. Il réussit à envoûter le monstre par le doux son de sa flûte et à le conduire jusqu'au four spécialement construit pour le rôtir. Malheureusement, le magicien, abandonné par la population, connaîtra lui aussi le même sort.
Depuis la tradition se perpétue et â travers tous les siècles, il en reste périodiquement l'organisation d'une fête grandiose

X Rappelons à ce propos ce que Monsieur J.B. VINCE a dit à ce propos : ''La V ivre à Couches, comme ailleurs, n'a jamais été qu'une fiction bien justifiée, mais une légende comme toutes les légendes, a une raison d'être et fait partie de l'âme des lieux.


Cliquer sur une date, pour voir des photos et documents sur la Vivre de Couches de :

1908, 1928, 1948, 1968, 1988



LEGENDE ET FETES DE LA VIVRE :
ORIGINES INCERTAINES.


La Vivre animal légendaire dont le nom semble indissociable de celui de Couches reprend corps dans la cité tous les 20 ans au cours d'une manifestation qu'on a coutume d'appeler ici ''cavalcade".

De génération en génération l'histoire de la bête faramine se perpétue à tel point que depuis un siècle les Couchois la remettent en scène périodiquement.

Nous allons ici, nous poser la question des origines à la fois de la légende et des fêtes qui s'y rattachent.

Avant de poursuivre dans les dédales d'une recherche souvent complexe, il convient de rappeler que de nombreuses études ont été et sont encore entreprises par d'éminents spécialistes.
Notre but n'est pas de concurrencer, voire de rivaliser avec ces scientifiques que nous n'avons pas la prétention d'égaler. Il nous a simplement paru intéressant, de faire le point sur ce que nous savons déjà et, ensuite d'omettre quelques hypothèses toutes aussi aléatoires les unes que les autres. Ceci étant précisé, nous espérons que cet exposé donnera matière à réflexions en apportant d'autres éléments à une thèse trop souvent et trop facilement admise.



I. CONSTATATIONS


1) La légende :
En pays couchois, la Vivre est une bête fantastique qui terrée dans son antre des ''Grands Breux", ne sort que pour répandre la terreur et la désolation, détruisant cultures, troupeaux et habitations, elle dévore aussi les humains.

Après plusieurs tentatives demeurées infructueuses, les Couchois décident un jour d'en finir avec le monstre. Sur les conseils du vieux Sapiens, la Vivre sera conduite au son de la flûte enchantée du magicien Yoata à un four où elle sera brûlée. D'abord promenée par les rues de la ville, la Vivre périt comme convenu, par les flammes au grand soulagement des Couchois en fête.

Mais, terrorisés par les cris de la bête qui se meurt, ces derniers oublient le pauvre magicien prisonnier des flammes.

Le ''scenario'' ainsi rappelé nous permet de constater d'ores et déjà plusieurs éléments essentiels :


a) Le décor :
la bête est retranchée au lieu-dit ''Les Grands Breux'' à proximité du hameau de la Creuse, sous le château, dans la vallée de la Vielle, à l'orée d'une forêt.
b) les trois principaux personnages :
La Vivre s'agit d'un animal extraordinaire incarnant le mal.
Sapiens, le vieux sage, représente le savoir et l'expérience.
Yoata le magicien, symbolise le surnaturel la force du pouvoir inexpliqué.
c) L'atmosphère de la scène :
la peur et à la résignation, succède la volonté de vaincre puis à l'ambiance est à l'apaisement et enfin à la joie.
d) La conclusion morale du récit :
ne veut-on pas démontrer par cette histoire que la conjugaison de plusieurs vertus conduit à la réalisation de l'impossible ? La bête semble invincible et pourtant la force de l'union et du savoir, de l'intelligence et de la magie, la foi des hommes dans leur réussite sont les conditions essentielles de la lutte puis de la victoire sur le mal.



2) Rappels historiques
Nous ne pensons pas qu'il soit possible de dissocier la légende d'un contexte historique. Un ou plusieurs faits précis sont certainement en relation directe avec le mythe de la Vivre qui s'est développé au cours des siècles en donnant naissance au conte fantastique. La thèse la plus communément admise est celle de la matérialisation des innombrables malheurs du peuple à une période donnée : le Moyen Age.
Les épidémies, les guerres, les famines supportées par la société occidentale en pleine mutation auraient favorisé la croyance en un pouvoir maléfique révélé par des manifestations terrestres souvent incomprises.
Le manichéisme de 1a religion chrétienne et la survivance de croyances païennes auraient été le moteur de cette explication irrationnelle des événements.

L'étude menée sur le symbolisme des commémorations en France de fêtes semblables à celles de la Vivre où, régulièrement on promène à travers les rues d'une ville la représentation d'une bête fabuleuse, vient étayer cette thèse.
Ce genre de manifestation courante au Moyen-age avait un but déterminé : unir les habitants pour une même cause : la lutte contre les maux communs. Certains en ont même donné une explication plus précise : les villes ayant Obtenu leur franchise, devaient assurer leur propre défense.

L'ennemi qu'il s'agisse des compagnies de brigands ou des armées d'un prince étranger, devait être combattu avec la même ardeur par tous les citadins. Avait-on en France plus qu'ailleurs tiré les leçons de l'Histoire ?
Voulait-on réagir contre le pacifisme des ancêtres qui, en d'autres temps avaient accueilli les envahisseurs avec une trop évidente résignation ?
Ce qui est certain, c'est que tout était mis en Œuvre pour rassembler, pour éviter les divisions souvent synonymes de défaites. (En outre, il a été constaté que dans bien des cas, l'antre de la bête se trouve aux portes de la ville, preuve que l'objet du combat, le danger, vient de l'extérieur !

Pour en revenir au cadre qui nous intéresse, il convient de s'arrêter quelques instants sur des périodes clés de notre histoire locale.


a) Avant l'apparition de l'Homme une terre déjà occupée.

A l'ère secondaire, le pays couchois est recouvert par les eaux. Seuls émergent de ce milieu aqueux les plateaux qui font encore le charme de notre paysage bourguignon.

Dans les marnes peu à peu s'enlisent les animaux marins.
On retrouve encore aujourd'hui, en quantité impressionnante toutes sortes de fossiles : ammonites. huîtres, bélemnites, etc.
Apparaissent les reptiles. A en croire les empreintes qu'ils ont laissées ici et là sur les terrains calcaires, notre région semble avoir été à cette époque abondamment peuplée.

Ce qui est peu connu, en revanche, c'est que les plus gros d'entre eux ont également laissé des traces de leur occupation. Au cours de travaux, notamment dans les mines et carrières, au siècle dernier, on a retrouvé quelques fossiles de ces monstres à écailles.


b) L'arrivée des premiers paysans.

Aux temps néolithiques, notre région nous le savons, était occupée par ces premiers hommes qui maîtrisèrent agriculture et élevage.

Leurs principales préoccupations : trouver une terre propice à leur activité. La composition du sol, mais aussi son irrigation étaient choses capitales pour la survie du groupe.
En pays couchois, nul doute qu'ils trouvèrent tous ces éléments.

On peut penser que dès cette époque l'homme découvrit la manière de trouver l'eau nécessaire à son développement.
L'abondance des cours d'eau souterrains, l'existence de failles naturelles dues à la superposition et à la diversité des couches géologiques la situation particulière de notre région dans la zone de partage des eaux, entretinrent, d'après certains, le mythe de l'être surnaturel vivant dans les profondeurs sinueuses de la terre. L'incompréhension des forces magnétiques et du pouvoir spécifique des sourciers n'aurait pu qu'entretenir cette croyance.


c) Naissance et développement du christianisme.

Nous savons que Couches passe pour avoir été fondé par des voyageurs grecs qui l'auraient baptisé 'COLCHAS'' en souvenir de la Colchide où Jalon conquit la Toison D'or.

Si cette histoire tient plus de la légende que de la réalité il n'est cependant pas impossible que la région ait effectivement reçu la visite de quelques marchands helléniques puisqu'il est aujourd'hui établi qu'un commerce existait entre nos deux peuples bien avant la conquête romaine.

La Grèce fut l'un des premiers centres de la chrétienté. En 52 après Jésus Christ l'apôtre Saint-Paul avec ses compagnons, Silas, Timothée et Saint-Luc arrive en Macédoine.
Il y crée les premières églises. A Athènes, il enseigne la parole du Christ puis il s'établit à Corinthe. La nouvelle religion fait en ces lieux, de nombreux adeptes qui, eux-mêmes partent évangéliser les peuples païens.

Dès le IIème siècle, notre région voit s'implanter 1es premières communautés chrétiennes.

Un autre rapport flagrant entre le monde grec et notre terre couchoise est l'édification du VIIIème siècle, sur les ruines d'une première église, d'un monastère dédié à Saint-Georges.

Saint-Georges qui avait embrassé la carrière des armes sous Dioclétien, souffrit la mort pour la foi en l'année 303. Son culte devint rapidement très populaire parmi les Grecs qui lui donnèrent le titre de "Mégalomartyr". Six églises lui étaient dédiées dans la seule ville de Constantinople. On représente souvent Saint-Georges sous l'image d'un cavalier terrassant un dragon. Il faut voir dans cette tradition un symbole de la victoire que le martyr a remportée sur le paganisme.


d) Un village divisé :

On a vu plus haut que le souci premier des villes affranchies du Moyen Age était d'assurer leur propre défense et par la même, leur survie.

La situation de Couches fut quelque peu différente. Géographiquement et administrativement, la cité était divisée en deux parties distinctes. Au Nord, Couches-en-Royauté dont l'église Saint-Georges et le Monastère faisaient partie ; Au sud, Couches-en-Duché dans la partie qui comprenait le Château.

Nul doute qu'à cette époque et durant la période qui suivit, l'unification des villageois ne fut pas chose facile quel meilleur rassembleur que cette ennemi commun la Vivre !


e) Une reine en nos murs :

Fille du Duc Robert II et petite-fille de Saint-Louis par sa mère, Marguerite de Bourgogne épouse en 1305 Louis X. dit le Hutin, roi de Navarre, fils aîné de Philippe le Bel.

L'infidélité de la jeune reine à son époux est devenue légendaire. Avec la complicité de ses deux belles-sœurs Blanche et Jeanne, Marguerite s'éprend du Chevalier Philippe d'Aulnay.
Bientôt le scandale éclate et le roi doit sévir. La reine de Navarre est conduite à la forteresse de Château-Gaillard où elle est retenue prisonnière.

Lorsque Louis le Hutin succède à son père, il cherche à se débarrasser de son encombrante épouse. C'est alors qu'il cherche à faire annuler son mariage par le pape. Hélas, le souverain pontif s'éteint en l'année 1315 laissant le pauvre roi dans le plus grand embarras.

Voulant coûte que coûte en finir avec sa femme adultère : il la fait assassiner dans sa cellule et épouse Clémence de Hongrie.
Telle est la thèse retenue par l'Histoire. Mais les Couchois eux, ont retenu une autre version. On n'assassine pas une princesse de ce rang sans faire de remous et pourtant, à la mort prétendue de Marguerite en sa geôle personne ne semble réagir, pas plus à la Cour de France qu'a la maison de Bourgogne.

La vérité aurait été toute autre. Si pour certaines commodités la reine ne devait plus exister, rien n'empêchait qu'elle fût éloignée, qu'elle retrouvât sa propre famille et vécût prisonnière libre au Château de Couches. Elle y serait morte auprès de sa cousine Marie de Beaufremont en l'année 1333 à l'âge de 43 ans.



3) L'étymologie :

Dans cette étude sur les origines de la Vivre : il nous a paru nécessaire de s'arrêter un instant sur l'étymologie du mot.

On désignait autrefois sous le terme de VIVRE ou VOUIVRE voir GUIVRE, une espèce de galon qu'on portait sur les vêtements. On l'appelait aussi ''densette'' parce qu'elle porte des dents.

De même en héraldique une pièce VIVREE est une pièce dont les bords présentent de grosses dents.
La sinuosité de ces formes ''vivrées'' rappelle le serpent, d'où cette autre interprétation souvent donnée au mot ''vivre''. Ce vocable serait d'ailleurs à rapprocher du mot ''Vesvres'' par lequel on désignait généralement le cours d'une rivière en lacets.

(Dans notre recherche de définitions, nous avons trouvé par hasard deux mots qui nous on paru intéressants dans le cadre de cette étude sur la légende de la Vivre. Nous les livrons sans essayer d'en tirer une quelconque conclusion : le mot Y0 désigne une flûte chinoise à trois trous quant à YO-LU il s'agit d'un esprit de la mythologie chinoise qui met en fuite les mauvais génies. Y aurait-il un rapport avec notre mage ?)



II. HYPOTHESES


A partir des éléments qui viennent d'être énoncés, nous nous permettrons de dévoiler le fruit de notre réflexion en formulant plusieurs hypothèses sur les origines de la Vivre de Couches. Certaines d'entre elles ont été révélées au cours du récit qui vient d'être fait.
Nous les rappellerons :


1) La Vivre, incarnation du mal :

Si l'on se place sur un plan purement religieux, la Vivre apparaît comme l'incarnation du démon. On l'associe alors au dragon contre lequel semblent avoir lutté bon nombre de Saints Martyrs de l'histoire chrétienne :
rappelons Saint-Georges, Saint-Michel (archange, chef de l'armée céleste - mythologie). Saint-Romain, Saint-Marcel, Saint-Clément. Saint-Loup, Sainte-Marguerite, Sainte-Marthe, etc.

Point n'est besoin d'insister sur le rôle de tous ces personnages qui, grâce à leur foi et an concours de l'Esprit-Saint parviennent à maîtriser le Démon, objet de tous les vices.

On peut alors imaginer que voulant à tous prix convertir les Couchois restés fidèles â leurs croyances païennes l'Eglise ait cherché ici à se servir du mythe du dragon pour éveiller la peur et obliger les consciences à se réfugier dans la foi.

Nous pensons en outre que la présence des menhirs d'Epoigny a dû être un facteur déterminant dans la survivance du paganisme, notamment par la pratique du culte druidique.

Cependant cette thèse nous paraît fragile en raison de l'existence de deux éléments essentiels :
· Il n'est nullement admis que la Vivre soit un dragon, au sens où on l'entend ici. Le terme de ''bête faramine'' est beaucoup plus usité par les conteurs.
· Si on veut une autre preuve, on observera attentivement la représentation qui en fut donnée aux différentes cavalcades depuis un siècle. Si le dragon n'avait fait aucun doute dans l'esprit des créateurs, nous pensons que son image en serait tout imprégnée et de façon constante.
Quant à la fameuse poutre du Prieuré , elle ne serait qu'un élément de l'architecture bourguignonne du XVème Siècle (on en retrouve bon nombre d'exemples en d 'autres lieux ) ou la représentation du dragon de Saint-Georges .


2) Des origines lointaines :

On a vu que certains associaient les manifestations telluriques au mythe de la Vivre. Dans un même ordre d'idée on peut également envisager une autre explication.

L'eau, source de vie, fut très tôt déifiée. Les fleuves et les rivières furent comme le soleil et le feu, l'objet d'adorations. Les crues, dues aux intempéries ou à la fonte des neiges, 1'existence de lieux toujours imprégnés, humides et incultes, pouvaient être interprétés comme des manifestations hostiles de la divinité. Les cours d'eau et leur incarnation mystique auraient alors reçu la même dénomination (1) d'où, plus tard, les termes de Vesvres et de Vivre. La rivière qui grossit et sort de son lit causant toutes sortes de ravages aurait été représentée sous les traits d'un être surnaturel aux formes sinueuses.

On remarque dans notre légende que l'antre de la bête faramine est localisé aux "Grands Breux" (terrain marécageux) à proximité de la rivière Vielle.


3) Un symbole d'unité :

Rappelons qu'à l'intérieur des cités médiévales, un besoin d'unité se faisait souvent sentir. Les différences de classes et le cloisonnement des corporations incitant à la division.

Si l'imminence du danger était un facteur de rassemblement, les trop longues périodes de paix favorisaient les luttes internes contre lesquelles il convenait de réagir. Les fêtes de la Vivre auraient été l'occasion de rappeler périodiquement ce besoin d'unité.

A Couches, en particulier, les affrontements entre clans rivaux furent nombreux. Entre Prieuré et Château des querelles incessantes conduisirent à une situation particulière : la séparation du village en deux administrations. Après la mort du Téméraire et l'annexion du Duché au Royaume de France, les partisans de Marie de Bourgogne, conduits par Guillaume de Marigny, voulurent s'emparer du château où s'étaient installés les soldats de Louis Xl. On raconte que, retranchés à Nyon, ils tiraient au canon sur les murailles. Nous ne pensons pas sérieusement qu'à une telle distance, ils pouvaient atteindre leur objectif. 11 serait plus plausible de situer l'action des Bourguignons face à l'enceinte fortifiée, à l'orée de l'épaisse forêt, qui offre de plus une possibilité de repli.

C'eût été une bien meilleure stratégie. Ils se seraient alors trouvés, coïncidence curieuse, tout près de L'endroit où est sensée se terrer notre Vivre !
( 1 ) Vestre : En France du Nord, le ruisseau qui coule dans. une forêt, puis la forêt humide.



4) Le souvenir de Marguerite :

Si on admet que Marguerite de Bourgogne a vécu au Château de Couches entre 1315 et 1333, On peut alors opérer certains rapprochements entre cet épisode caché de l'Histoire et la légende de la Vivre.

Essayons d'imaginer le contexte de l'époque : officiellement nous l'avons dit, la Reine de Navarre est morte. Son époux, Louis le Hutin s'est remarié avec Clémence de Hongrie.
Le secret de l'existence de Marguerite doit être bien gardé. Aussi de multiples précautions sont-elles prises pour éviter que sa présence ne soit révélée. Mais la reine, prisonnière libre à l'intérieur de la forteresse, côtoie chaque jour les Couchois employés du château.

. La nouvelle se répand à travers le village, mais gare à celui qui parlera ! En 1333, Marguerite de Bourgogne s'éteint, victime de la maladie. Sa mort, pas plus que la fin de son existence ne doit être connue.

Les Couchais, qui étaient sans doute fiers d'avoir en leurs murs un personnage de ce rang avaient pris Marguerite en pitié. Son souvenir ne pouvait que se perpétuer. Chacun à leur façon les seigneurs du château et le peuple de Couches entendent alors témoigner de sa présence parmi eux. Mais il faut user d'un truchement, retenir un symbole.

A cette époque, les hommes sont en contact permanent avec la religion. Dieu est présent à chaque moment de l'existence. Le paysan connaît les Saints protecteurs et la vie des Saintes Martyrs.

La reine défunte revit donc dans l'histoire de Sainte-Marguerite.
Née et morte à Antioche vers 255-275, la Sainte-Martyre fut chassée par son père après sa conversion au christianisme. Elle se retira à campagne où elle se mit au service de son ancienne nourrice. Arrêtée comme chrétienne, après avoir repousser les offres du Préfet Olybrius, elle fut soumise à de cruels supplices. Ramenée dans sa prison, elle vit le démon sous la forme d'un dragon terrible qui s'approchait comme pour la dévorer. Mais elle le mit en fuite en faisant le signe de la croix. Le lendemain elle fut à nouveau torturée et décapitée.

Un siècle après la mort de Marguerite de Bourgogne, Claude de Montaigu, seigneur de Couches, fait édifier la chapelle actuelle du château, véritable monument pour l'époque puisqu'elle est confiée à un chapitre de six chanoines !

Ainsi peut-on concevoir que la Vivre, qui vécut, selon certains conteurs vers l'an 1300, soit l'incarnation des malheurs de cette Couchoise regrettée.


5) Une étrange découverte :

On a vu plus haut que le sol couchois renfermait bon nombre de fossiles de l'ère secondaire et que les reptiles avaient. eux aussi, laissé leurs empreintes. Lorsqu'on réalise aujourd'hui de telles découvertes, la science nous renseigne immédiatement sur leurs origines.

En revanche, on peut s'interroger sur la réaction de nos ancêtres, qui, il y a quelques siècles, mettaient à jour, par hasard, les restes d'animaux inconnus.

Pourquoi ne pas chercher alors une explication rationnelle à la naissance du mythe ? Si dans l'espace, la légende situe avec précision l'antre de la Vivre, n'est-ce pas tout simplement parce que l'endroit renfermait le fossile d'un animal préhistorique ? Nous pensons que cette hypothèse n'est pas dénuée de fondement.



III. CONCLUSION


A l'issu de cet exposé, nous poserons enfin une toute dernière interrogation. Notre travail relevant bien plus de la réflexion que de l'analyse scientifique, elle sera comme le reste, laissée à la libre appréciation du lecteur.

La légende de la Vivre est parvenue jusqu'à nous grâce à la tradition orale, mais aussi et surtout grâce aux fêtes qui sont organisées régulièrement tous les vingt ans depuis un siècle.

Ce qui nous a frappé, à la lecture des documents relatifs aux premières cavalcades, c'est le divorce entre cette légende et le déroulement des festivités. En 1888 et en 1908, le caractère laïc de la manifestation semble mis en évidence. La ville de Couches l'organise au profit des pauvres de la commune. Les personnages omniprésents sont les gendarmes, le garde-champêtre, les pompiers...

Nous nous sommes alors demandé si notre légende (celle lue nous connaissons aujourd'hui) n'avait pas subi, à travers les âges, d'innombrables aménagements. N'a-t-on pas essayé, par exemple à la fin du siècle dernier, en cette période où les forces de progrès anticléricales prenaient le pas sur le conservatisme, de dépouiller le mythe de la Vivre de son caractère religieux ? Il est bien des cas, en effet, où une fête laïque a supplanté une tradition chrétienne. Le Père Noël détrônant Saint-Nicolas en est un bel exemple. Nos réticences évoquées plus haut à propos de Saint-Georges n'auraient, dans cette éventualité plus aucun fondement.

En résumé, nous pensons qu'il serait vain de chercher une seule explication au mythe de la Vivre en pays couchois. Son origine semble se perdre dans la nuit des temps et a dû trouver à travers les siècles d'innombrables occasions de s'adapter. Le fait qu'il survive encore aujourd'hui peut, à tout le moins, surprendre. La réponse nous semble contenue dans cette seule question : les Couchois de 1988 à travers l'organisation d'une fête aux accents moyenâgeux ne seraient-ils pas inconsciemment à la recherche de cette unité si précaire des cités médiévales ?

La Vivre, symbole du rassemblement telle est l'image que nous retiendrons...
Jean-Michel NECTOUX
Bulletin n°3 de Couches et son passé